UNE VUE D’ENSEMBLE DE LA THÉORIE INTÉGRALE
Un modèle global pour le 21ème Siècle
Sean Esbjörn-Hargens
Le mot intégral signifie compréhensif, inclusif, non-marginalisant, englobant. Les approches intégrales dans tout domaine visent exactement à cela : inclure autant de perspectives, de styles, et de méthodologies que possible au sein d’une vision cohérente du sujet. Dans un certain sens, les approches intégrales sont des « méta-paradigmes », ou des façons de réunir des paradigmes existants séparés en un réseau interdépendant d’approches qui sont mutuellement enrichissantes.
– Ken Wilber
Le monde n’a jamais été aussi complexe qu’aujourd’hui—c’est difficile à concevoir parfois même émotionnellement écrasant. Qui plus est, le monde semble devenir de plus en plus complexe et cacophonique à la lumière des défis majeurs de notre époque : fondamentalisme religieux, dégradation environnementale, échec des systèmes éducatifs, aliénation existentielle, et marchés financiers volatiles. Jamais il n’y a eu autant de disciplines et de vision du monde à considérer et consulter pour adresser ces questions : une profusion de perspectives. Mais sans moyen de relier, d’exploiter, de corréler, et d’aligner ces perspectives, leur contribution aux problèmes du monde est en grande partie perdue ou compromise. Nous faisons maintenant partie d’une communauté globale et nous avons besoin d’un cadre théorique—avec une vision globale, mais aussi ancré dans le détail de nos vies quotidiennes—capable d’organiser l’ensemble des perspectives valides qui soutiennent nos efforts individuels et collectifs à trouver des solutions.
En 1977, le philosophe américain Ken Wilber publia son premier livre, « Le Spectre de la Conscience » [ndt : The Spectrum of Consciousness]. Ce livre innovateur intégra les écoles principales de psychologie selon un continuum de complexité croissante, avec différentes écoles se concentrant sur divers niveaux de ce continuum. Au cours des 30 années suivantes il continua sur cet élan intégratif et publia des livres dans des domaines tels que l’anthropologie culturelle, la philosophie, la sociologie des religions, la physique, la santé, les études environnementales, la science et la religion, et le postmodernisme. A ce jour, Wilber a publié plus de deux douzaines de livres et dans ce processus a créé la théorie intégrale.[i] Les livres de Wilber ont été traduits dans plus de 24 langues, ce qui donne une idée de la portée globale et de la pertinence de la théorie intégrale.[ii] Depuis son élaboration par Wilber, la théorie intégrale est devenue une approche majeure dans la sphère plus large des études intégrales et de la méta-théorie.[iii] Ce rôle proéminent est en grande partie le résultat du large champ d’application pour lequel la théorie intégrale s’est montrée efficace, mais aussi du travail de nombreux chercheurs-praticiens qui ont contribué et continuent de contribuer au développement de la théorie intégrale.
La théorie intégrale incorpore et organise les apports essentiels de toutes les disciplines majeures de la connaissance humaine, incluant les sciences naturelles et sociales aussi bien que les arts et les sciences humaines. Du fait de sa nature compréhensive, la théorie intégrale est utilisée dans plus de 35 disciplines académiques et professionnelles telles que l’art, la santé, le management organisationnel, l’écologie, le ministère des congrégations, l’économie, la psychothérapie, le droit, et le féminisme.[iv] De plus, la théorie intégrale a été utilisée pour développer une approche de transformation et d’intégration personnelle appelée Pratique de Vie Intégrale (PVI) [ndt : Integral Life Practice (ILP)]. Le cadre de la PVI permet aux individus d’explorer et de développer méthodiquement des aspects d’eux-mêmes tels que le corps physique, l’intelligence émotionnelle, la conscience cognitive [ndt : cognitive awareness], les relations interpersonnelles et la sagesse spirituelle. Parce que la théorie intégrale incorpore systématiquement plus d’aspects de la réalité, et les met en corrélation plus consciencieusement que n’importe quelle autre approche d’évaluation et de résolution de problème, elle est potentiellement plus apte à gérer les problèmes complexes du 21ème siècle.
La théorie intégrale fournit aux individus et aux organisations un modèle puissant, approprié à virtuellement n’importe quel contexte et utilisable à n’importe quelle échelle. Pourquoi ? Parce qu’il organise toutes les approches et disciplines d’analyse et d’action existantes, et qu’il permet à un praticien de sélectionner les outils, les techniques, et les idées les plus adaptées et les plus efficaces. Ainsi, la théorie intégrale est utilisée avec succès dans des contextes très variés, aussi bien dans le cadre intime d’une psychothérapie que dans le programme « Leadership for Results » [ndt : Diriger pour des résultats] des Nations Unies, une réponse globale au SIDA/HIV utilisée dans plus de 30 pays. Vers la fin de cet article, je fournis davantage d’exemples de la théorie intégrale en action afin d’illustrer la variété des contextes dans lesquels les gens trouvent le modèle intégral utile.
Wilber a utilisé le mot « intégral » en référence à son approche pour la première fois après la publication de son ouvrage séminal « Sexe, Ecologie, Spiritualité » [ndt : Sex, Ecology, Spirituality] en 1995. C’est dans ce livre qu’il introduisit le modèle des quadrants, devenu depuis un symbole caractéristique de son œuvre en général et de la théorie intégrale en particulier. Le modèle des quadrants de Wilber est souvent appelé le « modèle AQAL », le terme AQAL (prononcé ah-qwal) signifiant tous les quadrants, tous les niveaux, toutes les lignes, tous les états, et tous les types [ndt : all quadrants, all levels, all lines, all states, and all types]. Ces cinq éléments représentent certains des schémas récurrents les plus élémentaires de la réalité. Ainsi, le fait d’inclure tous ces éléments permet de « couvrir l’essentiel » en s’assurant qu’aucun aspect important d’une solution ne soit oublié ou négligé. Chacun de ces cinq éléments peut être utilisé pour « regarder » la réalité et en même temps ils représentent les aspects fondamentaux de votre propre conscience [ndt : awareness] de ce moment, et de tous les autres. Dans cet article je vais vous présenter les caractéristiques essentielles de chacun de ces éléments et vous donner des exemples de leur utilisation dans divers contextes, de pourquoi ils sont utiles au praticien intégral, et de comment identifier dès maintenant ces éléments dans votre conscience. A la fin de ce tour, vous aurez une compréhension solide de l’une des approches les plus flexibles et dynamiques pour intégrer les idées de multiples disciplines. Commençons donc par les bases du modèle AQAL : les quadrants.
Tous les Quadrants : Dimensions-Perspectives Élémentaires
Selon la théorie intégrale, il y au moins quatre perspectives irréductibles (subjectif, intersubjectif, objectif, et interobjectif) qui doivent être consultées afin de comprendre pleinement un sujet ou aspect de la réalité. Ainsi, les quadrants expriment la simple réalisation que tout peut être observé depuis deux distinctions fondamentales : 1) une perspective intérieure et extérieure ; et 2) une perspective individuelle et collective. Un exemple rapide permet d’illustrer cette idée : imaginez que vous essayez de comprendre les raisons du succès d’une réunion professionnelle. Vous prendrez en compte les facteurs psychologiques et les valeurs culturelles (l’intérieur des individus et des groupes) ainsi que les observations comportementales et les dynamiques organisationnelles (l’extérieur des individus et des groupes) pour apprécier pleinement ce qui suscite la conduite de réunions efficaces.
Ces quatre quadrants représentent également des dimensions de la réalité. Ces dimensions sont des aspects réels du monde qui sont présents à chaque instant. Par exemple, tous les individus (animaux inclus) ont une certaine forme d’expérience subjective et d’intentionnalité, ou intérieurs, ainsi que des comportements observables et des caractéristiques physiologiques, ou extérieurs. De plus, les individus ne sont jamais isolés, ils sont membres de groupes ou de collectifs. L‘intérieur de ces collectifs est ce qu’on appelle généralement les réalités culturelles intersubjectives, alors que leurs extérieurs sont les systèmes économiques, sociaux et écologiques, qui sont caractérisés par des dynamiques inter-objectives. Ces quatre dimensions sont représentées par quatre pronoms : « je », « nous », « ça », « ceux ». Chaque pronom représente un quadrant : « Je » représente le Supérieur Gauche (SG), « Nous » représente l’Inférieur Gauche (IG), « Ça » représente le Supérieur Droit (SD), et « Ceux » représente l’Inférieur Droit (ID) (Voir Fig. 1).
Comme les deux quadrants de droite (SD et ID) sont caractérisés par l’objectivité, les quatre quadrants sont aussi connus comme les trois sphères de valeur de la subjectivité (SG), de l’intersubjectivité (IG), et de l’objectivité (SD et ID). Ces trois domaines de la réalité sont présents dans la majorité des langues à travers des pronoms représentant les perspectives à la première, seconde, et troisième personne, et sont appelés par Wilber « les Trois Grands : » Je, Nous, Ça/Ceux. Ces trois sphères peuvent également être caractérisées par l’esthétique, la morale, et la science ou encore par la conscience, la culture, et la nature (Voir Fig 2).
La Théorie Intégrale insiste sur le fait que vous ne pouvez comprendre l’une de ces réalités (un des quadrants ou un des Trois Grands) à travers la lentille d’une des autres. Par exemple, regarder les réalités psychologiques subjectives essentiellement à travers une lentille empirique objective dénature grandement la valeur de ces dynamiques psychologiques. En fait, l’irréductibilité de ces trois sphères a été reconnue à travers l’histoire de la philosophie occidentale, depuis le Beau, le Bien, le Vrai de Platon jusqu’aux trois fameuses critiques d’Emmanuel Kant sur la raison pure, la faculté de juger, et la raison pratique, et jusqu’aux principes de validité de Jürgen Habermas sur la vérité, la justesse, et la sincérité (Fig. 2). Wilber préconise vivement d’éviter l’erreur consistant à réduire l’ensemble de ces sphères à une seule d’entre elles. En particulier, il met en garde contre ce qu’il nomme la « terre plate » [ndt : flatland] : la tentative de réduire les domaines intérieurs à leurs corrélations extérieures (c’est-à-dire, réduire les réalités subjectives et intersubjectives à leurs aspects objectifs). On observe notamment cette tendance dans les approches systémiques du monde naturel qui représentent la conscience par des diagrammes de boucles de rétroaction, et par là même perdent la texture et le ressenti des expériences à la première et seconde personne.
L’une des raisons pour laquelle la théorie intégrale est si éclairante et utile est qu’elle embrasse la complexité de la réalité d’une façon que peu d’autres cadres ou modèles embrassent. Contrairement aux approches qui explicitement ou involontairement réduisent un quadrant à un autre, la théorie intégrale voit chacun des quadrants émanant simultanément. Afin d’illustrer la simultanéité de tous les quadrants, je propose un exemple simple, pour cela gardons la figure 1 en tête. Disons que je décide que j’ai besoin d’acheter des fleurs pour le jardin et que j’ai la pensée, « je veux aller à la pépinière ». Le modèle intégral démontre que cette pensée et ses actions associées (par exemple, aller jusqu’au magasin, et acheter des roses) a au moins quatre dimensions, aucune d’entre elle ne peut être séparée des autres, car elles « co-émanent » (ou se « tétra-enchevêtrent ») et s’informent l’une l’autre. D’abord, il y a la pensée individuelle, et comment je l’expérimente (par exemple, mentalement calculant le temps du trajet, l’expérience de joie de faire du shopping, ou l’anxiété financière de comment vais-je payer pour mon achat). Ces expériences sont informées par des structures psychologiques et des sensations somatiques associées au quadrant SG. Au même moment, il y a cette unique combinaison d’activités neuronales, de chimie du cerveau, et d’états corporels qui accompagnent cette pensée, mais aussi n’importe quel autre comportement qui peut survenir (par exemple, mettre un manteau, aller dans la voiture). Ces comportements sont associés avec diverses activités de notre cerveau et activités physiologiques du corps, qui sont associés avec le quadrant SD. Pareillement, il y des systèmes écologiques, économiques, politiques et sociaux qui fournissent la pépinière avec des articles à vendre, déterminent le prix des fleurs, et ainsi de suite. Ces systèmes sont interconnectés à travers des marchés globaux, des lois nationales, et les écologies associées au quadrant ID. Il y a aussi un contexte culturel qui détermine si j’associe « pépinière » à un marché en plein air, un grand magasin, ou un petit étalage dans une ruelle, de même que les significations variées et les interactions culturellement appropriées qui surviennent entre les personnes à la pépinière. Ces aspects culturels sont associés avec les visions du monde dans le quadrant IG.
Ainsi, pour avoir une appréciation et une compréhension complète de l’apparition d’une pensée telle que « Je vais à la pépinière », il n’est pas possible de l’expliquer complètement uniquement via des termes de la psychologie (SG), ou de la neurologie et de la physiologie (SD), ou de dynamiques sociologiques et économiques (ID), ou de significations culturelles (IG).
Pour la vision la plus complète, comme nous allons le voir, il faut prendre en considération tous ces domaines (et leur niveaux de complexités respectifs). Pourquoi est-ce que c’est concret ? Eh bien, si nous essayions de résumer cette simple situation en laissant de côté une ou plusieurs perspectives, un aspect fondamental du tout en entier serait perdu et notre capacité à la comprendre et à s’y intéresser serait compromise. C’est pourquoi, les praticiens de la théorie intégrale utilisent souvent les quadrants en premier pour scanner une situation ou un problème, et apporter des perspectives multiples qui supportent l’investigation ou l’exploration à portée de main.
Quadrants et Quadrivia
Comme indiqué ci-dessus, il y a au moins deux façons de représenter et d’utiliser le modèle des quadrants : en tant que dimensions ou en tant que perspectives. La première, une approche quadratique, illustre un individu situé au centre des quadrants (voir Fig. 3). Les flèches pointent de l’individu vers les diverses réalités qu’il peut percevoir comme résultat de sa propre conscience incarnée. A travers l’utilisation des différents aspects de sa propre conscience, ou à travers des méthodes formelles basées sur ces dimensions de la conscience, il est capable de rencontrer ces différentes réalités d’une manière directe et « connaissable ». En bref, il a directement accès à des aspects expérientiels, comportementaux, culturels, et sociaux / systémiques de la réalité parce que ceux-ci sont des dimensions réelles de sa propre existence. Ceci est utile pour lui parce que ça lui permet de remarquer, de reconnaître, et d’interagir plus efficacement avec son monde. En résumé, le plus il ouvre de ces « canaux » le plus d’informations il sera en mesure d’obtenir sur ce qui est en train de se produire autour de lui et il sera capable de ressentir et d’agir de façons qui sont au bon moment et perspicace. Remarquez tout de suite comment vous-même êtes engagé(e) dans chacune de ces trois perspectives : première personne (par exemple, remarquant vos propres pensées alors que vous lisez ceci), deuxième personne (par exemple, lisant mes mots et interprétant ce que j’essaie de transmettre), et troisième personne (par exemple, étant assis là conscient de la lumière, des sons et de la température de l’air autour de vous). Est-ce que vous voyez comment vous êtes toujours en train d’expérimenter le monde à travers les quatre quadrants – ici et maintenant ? C’est aussi simple que ça.
Une autre manière de représenter le modèle en quadrants est à travers une quadrivia. Quadrivia renvoient à quatre façons de regarder (quadrivium est singulier). Dans cette approche les différentes perspectives associées à chaque quadrant sont dirigées vers une réalité particulière, qui est placée au centre du diagramme. Supposons que des centaines de poissons sont mourants dans un lac. La mort de ces poissons devient le focus ou objet d’investigation et d’analyse, avec de l’expertise provenant de chacun des domaines quadratiques en train d’évaluer la situation. Les flèches pointant vers le centre indiquent les méthodologies que différents experts (associés à chaque quadrant) utilise pour étudier le poisson mourant. Dans une approche intégrale, celles-ci incluent l’exploration des émotions, des identités au soi, et des croyances des individus qui se perpétuent près du lac à travers des enquêtes psychologiques et expérientielles ; l’exploration de facteurs empiriques, chimiques, et biologiques contribuant au poisson mourant à travers des analyses comportementales et physiologiques ; l’exploration de points de vue philosophiques, éthiques et religieux sur la communauté autour du lac à travers des investigations des cultures et des visions du monde ; et l’exploration de facteurs environnementaux, politiques, éducationnels, légaux, et économiques de la situation via des évaluations écologiques et sociales (voir Fig 4).
En résumé, les quadrants mettent l’accent sur quatre dimensions irréductibles que tous les individus ont et les quadrivia renvoient aux quatre perspectives fondamentales qui peuvent être prises sur n’importe quel phénomène. Dans chaque cas, les quatre quadrants ou quadrivia sont co-naissant, littéralement « ils sont nés ensemble » et sont mutuellement impliqué/mêlé l’un dans l’autre. En d’autres mots, ils co-émanent ou se tétra-enchevêtrent. Cette compréhension est utile parce qu’elle honore la complexité de la réalité d’une façon à permettre à un praticien d’aborder des problèmes d’une manière plus adroite et subtile. De plus, les quadrants représentent les voies naturelles dans lesquelles nous expérimentons la réalité en chaque instant et les quadrivia représentent les voies les plus communes dans lesquelles nous pouvons regarder -et le faisons souvent- la réalité pour la comprendre.
Tous les Niveaux : Profondeur et Complexité
Au sein de chaque quadrant, il y a des niveaux de développement. Dans l’intérieur, représenté par les quadrants de gauche, il y des niveaux de profondeur, et dans l’extérieur, représenté par les quadrants de droite, il y a des niveaux de complexité. Les niveaux dans chaque quadrant sont mieux compris en tant que probabilités d’onde qui représentent la nature dynamique de la réalité et des manières dont différentes réalités apparaissent sous certaines conditions. En outre, les niveaux d’un quadrant sont en corrélation avec ceux des autres quadrants. Par exemple, un cadre (SG) orienté sur les objectifs qui a une haute pression sanguine (SD) sera plus facilement trouvé dans une société ou sous-culture scientifique et rationnelle (IG), que l’on rencontre habituellement dans des entreprises industrielles (ID). Dans cet exemple, tous les aspects de la situation apparaissent au même niveau de complexité et de profondeur au sein de leur quadrant respectif, et sont donc corrélés au niveau 5 dans la Figure 5. L’inclusion des niveaux est importante parce qu’ils nous permettent d’apprécier et de mieux s’interfacer avec les réalités associées à chaque quadrant. Chaque quadrant sert de carte pour différents terrains de la réalité. Les niveaux au sein de chaque quadrant représentent les courbes de niveau topographique de ce terrain. Ceci nous aide à identifier les caractéristiques uniques de ce paysage particulier, qui nous permettent de le traverser avec plus de succès et de jouir des vues extraordinaires le long du chemin.
Les niveaux ou ondes dans chacun des quadrants démontrent une holarchie, qui est une sorte de hiérarchie dans laquelle chaque nouveau niveau transcende les limites des niveaux précédents, mais inclut les aspects essentiels de ces mêmes niveaux. Ainsi, chaque onde hérite de l’onde du passé et ajoute un nouveau niveau d’organisation ou de capacité. Par conséquent, chaque niveau de complexité ou de profondeur est en même temps une partie de la structure plus grande, et une structure complète elle-même et en elle-même. Dans le domaine subjectif, les sensations sont transcendées et incluses en impulsions, qui sont transcendées et incluses en émotions, qui sont transcendées et incluses en symboles, qui sont transcendés et inclus en concepts. De même, dans le domaine intersubjectif cette dynamique apparaît d’abord dans les interprétations archaïques, et ensuite vers les explications magiques, et ensuite vers les histoires mythiques, et ensuite vers les vues rationnelles, et ensuite vers les compréhensions intégrales. Dans le domaine objectif ce mouvement apparaît depuis les atomes vers les molécules, vers les cellules, vers les tissus, vers les organes. Et dans le domaine interobjectif cela apparaît dans le mouvement depuis les galaxies, vers les planètes, vers les écosystèmes, vers les familles, vers les villages (voir Fig. 5 pour une autre présentation de ce qui est transcendé et inclus dans chaque quadrant).[v] Indépendamment de où les différents chercheurs peuvent fixer les limites des niveaux, un schéma répétitif [ndt : pattern] d’évolution ou de développement se produit dans chaque quadrant : la profondeur s’enveloppe (c.-à-d. s’incorpore sur elle-même), la complexité augmente (c.-à-d., s’étend et inclut davantage).
Les niveaux de développement sont souvent représentés par des flèches divisant en deux chaque quadrant (comme dans la Fig. 5). La théorie intégrale utilise la notion d’altitude générale comme une façon sans contenu de comparer et de contraster le développement à travers différents domaines soit à l’intérieur d’un quadrant ou soit entre les quadrants. C’est comme utiliser un thermomètre pour jauger la température dans diverses situations—un thermomètre centigrade fonctionne aussi bien à l’équateur que dans l’Arctique, et a comme conséquence de nous permettre de comparer la météo dans ces lieux distants d’une manière sensée. La théorie intégrale utilise les couleurs de l’arc en ciel pour représenter chacun des différents niveaux (par exemple : rouge, ambre, orange, vers, bleu sarcelle, turquoise). Ce spectre de couleurs représente également le mouvement général d’une identité augmentant : de « moi » (égocentrique) vers « mon groupe » (ethnocentrique) vers « mon pays » (socio-centrique) vers « chacun d’entre nous » (mondocentrique) vers « tout être vivant » (géocentrique) vers au final « l’ensemble de la réalité » (Kosmocentrique) (voir Fig. 6). Cette trajectoire générale d’une prise de conscience [ndt : awareness] grandissante a des corrélations dans chaque quadrant. La théorie intégrale utilise également l’image de cercles concentriques (souvent superposés sur les quadrants) pour mettre en valeur les qualités imbriquées des niveaux qui se transcendent et s’incluent les uns dans les autres (voir Fig. 6).
L’inclusion des niveaux dans une approche intégrale est précieuse, car cela permet de reconnaître les nombreuses couches de développement possibles au sein de tous les domaines de la réalité.
Les praticiens gagnent une avance précieuse en visant leurs efforts à l’échelle appropriée et de ce fait trouvent les points d’intervention stratégique, comme un acupuncteur touche le bon endroit pour apporter une santé optimale et le bien-être. Ceci permet d’économiser de l’énergie et des ressources et concentre les efforts de manière optimale. Par exemple, imaginer travailler avec un groupe d’enseignants pour élaborer un nouvel énoncé de la mission de leur programme éducatif. Clairement, travailler avec les réalités du quadrant IG sera primordial – articuler une vision et un sens partagés, explorer à travers le dialogue les différentes phrases qui pourraient être utilisés dans le document, et ainsi de suite. Mais vous allez être plus efficace pour faciliter ce processus de collaboration si vous avez une idée des niveaux du sens commun qui sont présents dans ce groupe, et de ce qu’ils essaient de communiquer dans leur déclaration. Fonctionnent-ils principalement sur des valeurs modernes, des valeurs postmodernes, ou une combinaison des deux? Savoir cela vous informera grandement sur votre capacité à servir leur effort. Ainsi, il n’est souvent pas suffisant de simplement être conscient des quadrants, vous devez également travailler avec la profondeur et la complexité au sein de chacun des domaines.
Tout comme nous pouvons localiser chaque quadrant dans notre propre attention consciente grâce à l’utilisation des points de vue à la première, seconde et troisième personne, nous pouvons également retrouver les niveaux de profondeur et de complexité de notre expérience directe. Pour illustrer cela, tout ce que vous avez à faire est de remarquer comment vous avez tendance à passer votre journée avec une quantité prévisible de profondeur et de complexité. Par exemple, dans les bons jours vous sentez plus de profondeur et pouvez gérer plus de complexité et les autres jours vous semblez trébucher sur tout (diminution de la capacité à gérer la complexité) et vous vous trouvez être irrité à la plus petite chose (diminution de la capacité à expérimenter la profondeur). Ainsi, vous avancez souvent dans votre journée en exprimant une altitude ou un niveau plus que les autres, même si vous avez un ressenti vécu de ce que c’est que d’être « au top de votre jeu » (à un niveau au-dessous) ou de « foirer chaque étape » (à un niveau en-dessous).
Toutes les lignes : des capacités de développement variées
Les lignes de développement sont une autre façon de décrire les capacités distinctes qui se développent à travers les niveaux dans chaque aspect de la réalité comme représentée par les quadrants. Donc, si les niveaux sont des courbes de niveau sur une carte de randonnée de la réalité, alors les lignes de développement représentent les divers sentiers que vous pouvez prendre pour parcourir de façon transverse la vaste étendue sauvage du potentiel humain. Par exemple, dans le quadrant individuel-intérieur de l’expérience, les lignes qui se développent incluent, mais ne se limitent pas, au cognitif, à l’affectif, à l’interpersonnel et aux capacités morales. Ces capacités sont souvent considérées comme des intelligences multiples que chaque personne possède. L’idée étant que chacun de nous est plus développé dans certains secteurs que d’autres. La théorie intégrale utilise un psychogramme pour représenter l’assortiment unique du développement d’un individu dans différentes lignes individuelles (Fig. 7).
De même, un sociogramme est utilisé pour représenter les différentes lignes de développement au sein d’une famille, d’un groupe, d’une culture ou d’une société (Fig. 8). Les types de lignes trouvées dans les cultures comprennent des choses telles que les capacités kinesthésiques, la maturité interpersonnelle (par exemple, l’absence d’esclaves, les droits des femmes, les libertés civiles), l’expression artistique (par exemple, les formes de musique, le financement public pour les arts), les capacités cognitives ou technologiques, la longévité physique (par exemple, les systèmes de santé, l’alimentation), et la maturité polyphasique. Polyphasique se réfère aux différents états de conscience qu’une culture accède de façon courante. Par exemple, de nombreuses cultures autochtones accèdent et cultivent différents types d’états de conscience, tandis que les sociétés occidentales rationnelles ont tendance à mettre l’accent sur la conscience éveillée rationnelle à l’exclusion d’autres façons d’expérimenter la réalité. Un praticien intégral peut utiliser les lignes comme un outil de diagnostic pour s’assurer que ces aspects des individus ou des groupes sont reconnus et traités efficacement. Ci-dessous se trouve un aperçu des types de lignes qui peuvent être incluses dans une évaluation intégrale.
Chaque ligne à l’intérieur d’un quadrant a des corrélations dans les autres quadrants. Par exemple, alors que la ligne cognitive se développe dans le quadrant SG, des développements comportementaux et neurophysiologiques sont en correspondance dans le quadrant SD, développements qui correspondent à des capacités intersubjectives dans le quadrant IG, et des structures grammaticales dans le quadrant ID. En fait, il existe une variété de lignes dans chaque quadrant. Ci-dessus, j’ai énuméré quelques-unes des lignes courantes associées à SG. Des lignes associées à SD comprennent les voies de développement de choses telles que la croissance musculaire-squelettique, les ondes cérébrales, le système neuronal, et d’autres structures biologiques de l’organisme. Dans IG nous trouvons des lignes telles que la succession des visions du monde et des valeurs culturelles, les différentes dynamiques intersubjectives, les points de vue religieux et philosophiques, et la signification linguistique. Enfin, les lignes spécifiques à ID incluent : comment les écosystèmes se développent ainsi que les voies d’évolution de l’adaptation, les structures géopolitiques, et les forces de production (Fig. 9).
Ce qui distingue une ligne des autres modèles tels que les états ou les types, c’est qu’une ligne démontre un développement séquentiel ayant des niveaux croissants de complexité ou de profondeur qui transcendent et incluent le niveau précédent. En d’autres termes, il doit y avoir une série identifiable d’étapes qui se déroulent dans un ordre particulier et aucune étape donnée ne peut pas être sautée. Par exemple, dans la ligne des forces de production de ID nous voyons un chemin sociétal qui commence par la recherche de nourriture (par exemple, la chasse et la cueillette), qui cède la place à l’horticulture (par exemple, à l’aide d’une houe), qui cède la place à des méthodes agraires (par exemple, à l’aide d’une charrue) et ainsi de suite, chaque nouveau développement dépend de ce qui précède et est, en partie, une réponse aux limites de ce précédent niveau.
L’élément lignes démontre surtout comment la théorie intégrale inclue les contributions d’un grand nombre de domaines existants et les organise de manière utile. En outre, les lignes sont importantes pour les praticiens intégraux parce qu’elles identifient des aspects distincts de chaque quadrant, aspects qui démontrent le développement et l’évolution. En étant conscient de la dynamique spécifique de la croissance et de la trajectoire typique d’une telle transformation, un praticien peut mieux soutenir et faire usage de ces flux de développement. Par conséquent, les évaluations intégrales seront souvent en mesure d’identifier quelles lignes sont fortes et quelles lignes ont besoin d’attention, tirant profit des plus développées pour aider à traiter les limites des moins développées. Connaître le niveau de développement au sein de différentes lignes fournit aux praticiens intégraux des informations précieuses sur les réalités d’une situation donnée et permet au praticien d’aligner ces réalités pour une amélioration optimale.
Tous les Etats : expressions temporaires
En plus des niveaux et des lignes, il y a aussi toutes sortes d’états associés à chaque quadrant. Les états sont des occurrences temporaires d’aspects de la réalité (pouvant durer de quelques secondes à quelques jours, et dans certains cas même des mois ou des années). Ils ont également tendance à être incompatibles les uns avec les autres. Par exemple, vous ne pouvez pas être ivre et sobre à la fois, une ville ne peut pas éprouver une tempête de neige et de une vague de chaleur le même jour. Ci-dessous sont présentés quelques exemples des types d’états associés à chaque quadrant (Fig. 10). Ainsi, pour continuer avec notre métaphore de la randonnée, les états peuvent être comparés à des aperçus momentanés de la nature que vous obtenez lorsque vous marchez le long du sentier. Par exemple, comment un magnifique panorama ne cesse de « surgir » à travers les arbres lorsque vous marchez, ou comment un oiseau attire votre attention par le son unique clic-clac-clac qu’il produit, puis disparait. Avant de vous en apercevoir, ces expériences qui attirent votre attention sont reléguées à l’arrière-plan et vous êtes de retour sur le sentier de terre battue avec vos bottes de randonnée.
Dans le quadrant SG, il y a des états phénoménaux tels que les états émotionnels élevés et déprimés, les idées, les intuitions et les états ressentis d’instant en instant. Il y a aussi les états naturels de réveil, de rêve, et de sommeil profond ainsi que l’état Témoin (la conscience en tant que pure observation de tous les autres états) et même la non-dualité, où le Témoin se dissout dans tout ce qui est observé. Diverses traditions religieuses nous fournissent des descriptions riches et sophistiquées de ces états. En outre, il existe des états modifiés de conscience qui peuvent être soit induits depuis l’extérieur (par exemple, via l’utilisation de médicaments, via un traumatisme, ou via une expérience de mort imminente) ou soit induits ou pratiqués depuis l’intérieur (par exemple, méditatif, holotropique, flux, rêve éveillé, expériences d’élévation). Lorsque les états sont pratiqués, ils arrivent et même se stabilisent souvent suivant un schéma séquentiel, ils se déplacent du grossier au subtil au très subtil formes de l’expérience et sont donc appelés états-plateau. Ceci est en contraste avec les structures-plateau du développement psychologique (abordés plus haut dans les sections des niveaux et des lignes). Les états et les structures de la conscience peuvent, tous deux, se produire par étapes/plateau, avec les états-plateau se développant en expansion horizontale et les structures-plateau se développant en croissance verticale.
Dans le quadrant SD, il y a les états du cerveau (alpha, bêta, thêta et delta) et les états hormonaux associés aux cycles de l’œstrogène, de la progestérone et de la testostérone. Il y a aussi des états comportementaux tels que le fait de pleurer et de sourire. En fait, les états sont souvent utilisés pour décrire la façon dont les phénomènes naturels se transforment d’une chose en une autre (par exemple, H2O passant de l’état de glace solide à l’état d’eau liquide à l’état de vapeur d’eau gazeuse).
Dans le quadrant IG, nous trouvons les états du groupe tels que la mentalité d’un gang ou l’hystérie de masse, l’excitation d’une foule, et la pensée de groupe. Il y a aussi des états intersubjectifs tels que les états somatiques qui se produisent entre les nourrissons et leurs mères ou telle que la résonance partagée entre deux personnes dans un dialogue engageant. Semblable aux états altérés chez les individus, il y a des états religieux au sein de groupes tels qu’une extase et un bonheur partagés ou telle qu’une expérience commune de la volonté divine.
Dans le quadrant ID, il y a les états climatiques (vagues de chaleur, blizzard, pluies torrentielles) et les fluctuations de la température ambiante en intérieur. Nos marchés financiers passent par une variété d’états économiques tels que des spéculations à la hausse, des bulles, des récessions, et ainsi de suite. Nous parlons aussi des forêts vierges qui représentent une communauté végétale à maturité—un état d’équilibre stable. Cette notion d’équilibre est illustrative de divers états écologiques tels que l’entropie (désordre accru) ou l’eutrophie (être bien nourri).
L’inclusion des états est utile pour les praticiens, car l’ensemble de nos réalités internes et externes sont toujours en mouvement, toutes sortes de changements d’état se produisent au fil de notre journée en nous-mêmes et au sein de nos environnements. Inclure les états nous permet de comprendre un certain nombre des façons dont ces changements se produisent et pourquoi.
Ceci nous permet ainsi d’être attentif à ces changements et de les placer au service de nos efforts au lieu d’être frappé et décentré par leur occurrence. Par exemple, lorsque nous sommes conscients des nombreux états qu’un groupe de personnes traversent durant une journée de formation pratique, nous pouvons concevoir notre programme pour honorer ces changements d’ »humeurs » et même les utiliser pour faciliter l’apprentissage.
En ce qui concerne la localisation de cet élément dans notre conscience directe, il suffit de constater combien d’émotions différentes nous éprouvons dans un court laps de temps. La plupart d’entre nous sommes conscients de la rapidité suivant laquelle nous pouvons passer d’un sentiment d’être « sur un nuage » en raison de très bonnes nouvelles, à un sentiment d’être frustré parce qu’un crétin nous a fait une queue de poisson sur l’autoroute, à un sentiment d’être angoissé à avoir à parler devant un groupe au travail, à un sentiment d’avoir faim et de se demander qu’est-ce que vous allez avoir pour le dîner . . . Et de penser que tous ces états peuvent se produire dans les cinq minutes.
Tous les Types : Divers schémas répétitifs (Patterns)
Les types sont la variété des styles réguliers qui surviennent dans différents domaines et qui apparaissent indépendamment des niveaux de développement. Les types peuvent se chevaucher ou être incongrus. En revenant de nouveau sur la métaphore de la randonnée, nous pouvons penser aux types comme les différents types de randonneurs—ceux qui aiment aller vite, ceux qui vagabondent, ceux qui prennent beaucoup de photos, ceux qui aiment chanter, et ainsi de suite. Ces types de personnes ont tendance à marcher de cette façon indépendamment du type de sentiers sur lesquels ils se trouvent, ou des terrains qu’ils traversent ; quel que soit le genre de sentiers qu’ils sont sur des terrains ou ils se déplacent à travers; ils apportent leur style unique, où qu’ils aillent. Comme pour les autres éléments, les types ont des expressions dans tous les quadrants (voir Fig. 11).
Dans le quadrant SG, il y a différents types de personnalité. Il existe de nombreux systèmes qui cartographie le nombre des différentes personnalités, y compris Keirsey (4 types), l’Ennéagramme (9 types), et Myers-Briggs (16 types). Dans ce quadrant, il y a aussi les types de genre masculin et féminin. En général, les personnes ont accès aux deux qualités masculines et féminines et donc ont tendance à avoir une combinaison unique des caractères associés à chaque type. Dans le quadrant SD, il existe des types sanguins (A, B, AB, O) et les types de corps bien connus de William Sheldon (ectomorphe, endomorphe, mésomorphe). Dans le quadrant ID, il y a les types de biomes écologiques (par exemple, la steppe, la toundra, les îles) et les types de régime gouvernemental (par exemple, communisme, démocratie, dictature, monarchie, république). Dans le quadrant IG, il existe plusieurs types de systèmes religieux (par exemple, monothéisme, polythéisme, panthéisme) et différents types de systèmes de parenté (par exemple, Eskimo, Hawaïenne, Iroquois, Omaha, Soudanaise).
L’utilité des types a été reconnue dans de multiples contextes, tels que dans la conception de régimes nutritionnels ou dans la construction d’équipes de travail efficaces. Être conscient des types permet aux praticiens intégraux d’adapter leur art pour qu’il s’accommode de quelques-uns des styles les plus communs et les plus cohérents associés à diverses contextes. Les types sont des patterns [ndt : des schémas répétitifs] très stables et résilients, après tout, ce sont des structures horizontales ou des structures-type (à la différence des structures-plateau verticales). Ainsi, en devenant plus conscients des types et de leur rôle dans tout ce que vous essayez de faire, vous êtes plus à même d’insuffler de la durabilité dans vos efforts en établissant des liens à des patterns existants qui perdurent.
Au sein de notre propre conscience, les types sont les éléments les plus évidents à percevoir notamment lorsque l’on pense aux diverses expressions du masculin et du féminin. Nous avons tous accès aux deux et nous savons tous ce que c’est que d’être ferme et « agentique » [ndt : tourné vers son propre agencement], par exemple, aller droit au but (un aspect du masculin) ou de profiter du jeu pour l’amour du jeu (un aspect du féminin). On peut même se déplacer entre ces styles, cependant certains d’entre nous sont plus identifiés que d’autres à l’un des côtés de ce spectre masculin-féminin. Vous pouvez probablement penser à des hommes ou à des femmes que vous jugez plus masculin(e)s ou plus féminin(e)s, et à ce que cela vous fait ressentir d’être auprès d’eux — Est-ce que vous avez l’impression d’être vous-même plus masculin(e) ou féminin(e) lorsque vous souhaitez les « rencontrer » dans ce mode, ou lorsque vous souhaitez être en opposition par rapport à leur type ? Un autre domaine où nous avons une expérience directe des types est celui des traits de personnalité telle que l’introversion et l’extraversion. Ainsi, nous sommes souvent conscients de la dynamique des types dans notre expérience de nous-mêmes et de celle des autres.
Toutes les Zones : différentes façon de savoir
En plus des cinq éléments de la théorie intégrale, qui constituent la base fondamentale du modèle AQAL, il y a un autre aspect plus avancé qu’il est important de mentionner. Cet aspect n’est pas vraiment un nouvel élément, mais plutôt une complexification du premier (les quadrants). Chacune des perspectives associées aux quatre quadrants peut être étudiée à travers deux grandes familles méthodologiques, c’est-à-dire soit de l’intérieur (par exemple, un point de vue à la première personne) ou à l’extérieur (par exemple, un point de vue à la troisième personne). Il en résulte huit zones distinctes de recherche et d’investigation humaine. Ces huit zones comprennent ce que la théorie intégrale appelle le pluralisme méthodologique intégral (PMI) [ndt : en anglais « integral methologicial pluralism (IMP) »], qui comprend des approches telles que la phénoménologie (une exploration des réalités subjectives de la première personne), l’ethnométhodologie (une exploration des réalités intersubjectives de la deuxième personne), et l’empirisme (une exploration des réalités empiriques de la troisième personne). La Figure 12 comprend l’ensemble des huit zones ainsi que leurs désignations respectives. Le PMI représente l’une des formulations les plus pragmatiques et les plus inclusives théoriquement de toute approche intégrale ou métathéorique. Il donne l’assurance au praticien intégral qu’il utilise des méthodes d’investigation éprouvées et exactes que l’ingéniosité humaine a produite au cours des 2000 dernières années.
Le pluralisme méthodologique intégral fonctionne selon trois principes: l’inclusion (en consultant de multiples perspectives et méthodes de manière impartiale), le déroulement (en priorisant l’importance des résultats générés à partir de ces perspectives), et la promulgation (en reconnaissant que les phénomènes sont révélés aux sujets via leur propre activité consistant à le connaître). À la suite de ces engagements, la théorie intégrale met l’accent sur la qualité dynamique des réalités à être promulguées via un sujet qui utilise une méthode particulière pour étudier un objet. Cet objet peut être une réalité à la première, deuxième, ou troisième personne. Par exemple, nous pouvons étudier des réalités psychologiques à la première personne comme objet d’investigation aussi facilement que nous pouvons étudier des réalités biologiques à la troisième personne.
Parce que la théorie intégrale reconnaît et inclut toutes les grandes idées des formes de recherche valables, elle met l’accent sur l’importance d’inclure toutes les zones dans ses efforts pour comprendre quoi que ce soit d’une manière exhaustive. Elle utilise le modèle PMI comme un moyen de rassembler, coordonner et évaluer des perspectives pertinentes de même que les résultats de leur recherche. Pour revenir à notre randonneuse intégrale, le PMI lui fournit de multiples façons de connaître et d’interagir avec le paysage qu’elle traverse. Sa boussole, ses jumelles, son livre sur les plantes comestibles, ses méditations du matin, et ses rencontres précédentes avec la faune, lui offrent différents moyens de connaître les étendues sauvages dans des façons qui sont signifiantes et précieuses pour elle en tant que randonneuse et amoureuse de la nature.
Parmi les nombreux points de vue importants sur la réalité, il y a des écoles de pensée qui se spécialisent dans l’utilisation des méthodes, des pratiques et des techniques associées à chaque zone. Par conséquent, en plus des cinq éléments présentés ci-dessus, une approche intégrale doit inclure l’ensemble des huit zones ou sinon elle risque de laisser de côté des aspects importants de la réalité qui ont une incidence sur les solutions efficaces aux problèmes auxquels font face nos communautés et de notre planète. En d’autres termes, plus nous reconnaîtrons et inclurons la réalité, plus nos solutions deviendront durables, précisément parce qu’un projet répondra plus efficacement à la complexité de cette réalité. Nous ne pouvons pas exclure des dimensions majeures de la réalité et s’attendre à des résultats complets, et durables. Éventuellement, après un certain temps, ces réalités qui ont été exclues demanderont à être reconnues et intégrées tandis que cette faible conception sera abandonnée au profit de stratégies plus nuancées et complètes. Ce qui nécessite une approche intégrale.
Un praticien intégral est constamment en train de combiner des méthodes, des pratiques, et des techniques à la première, seconde et troisième personne dans le but de rechercher les nombreux aspects essentiels d’une situation donnée. En réalisant une telle recherche intégrale, soit par des moyens formels ou soit par des moyens informels, le praticien est engagé dans un processus de pluralisme méthodologique intégral. Ce type d’orientation intégrative de méthodes variées est extrêmement précieux car il permet souvent aux praticiens de découvrir les relations surprenantes entre les réalités de la première, seconde et troisième personne, qui deviendront par la suite des maillons essentiels de leurs conceptions et de leurs solutions. Grâce au PMI, les praticiens « intégraux » sont souvent en mesure d’identifier des liens précieux entre des réalités distinctes que n’ont pas encore été identifiées ou utilisées dans des efforts antérieurs. Ainsi, équipé avec les huit principales formes d’acquisition des connaissances développées par l’humanité, le praticien intégral est bien positionné pour connaître la complexité et la profondeur de la réalité, et pour mettre cette perception au service de soi, de la culture et de la nature. La raison pour laquelle les praticiens « intégraux » peuvent utiliser ce vaste assortiment de méthodes formelles en premier lieu est qu’ils sont activement engagés dans l’utilisation de toutes ces méthodes de manière informelle dans leur propre conscience incarnée. En fait, chaque famille méthodologique majeure (par exemple, l’empirisme ou l’herméneutique [ndt : l’art d’interpréter]) est simplement une version formalisée de quelque chose que nous faisons naturellement tout le temps. Par exemple, notre capacité à prendre une perspective à la troisième personne sur le monde qui nous entoure (telle que : regarder les fleurs qui poussent le long du trottoir) est la base de l’empirisme ; notre capacité à adopter une perspective à la seconde personne avec nos amis (telle que : leur parler de pourquoi ils veulent quitter leur emploi) est la base de l’herméneutique. Par conséquent, les huit zones du PMI sont tout simplement un rappel des nombreuses façons dont nous nous connaissons, dont nous connaissons les autres et dont nous connaissons le monde autour de nous. Le modèle intégral nous permet de coordonner ces multiples façons de connaître et les arrangent dans une action orchestrée dans le monde.
La Théorie Intégrale en Action
Comme vous pouvez à présent le voir, une approche incluant tout les quadrants, tous les niveaux, toutes les lignes, tous les états, tous les types, toutes les zones est assez complète. Bien sûr, vous n’avez pas à utiliser toutes ces distinctions tout le temps. En fait, seulement en utilisant deux de ces éléments, cela peut rendre votre approche de l’analyse ou de la solution à construire plus intégrale que beaucoup d’autres. Cependant, les avoir tous les cinq dans votre « boîte à outils » permet de vous donner une plus grande capacité à répondre à la complexité de notre monde, et met à disposition un espace où il est possible d’inclure les aspects essentiels de n’importe quelle situation donnée. En outre, cela nous aide à comprendre les relations entre les différentes facettes de la réalité que nous rencontrons. En fait, c’est ce qui distingue la théorie intégrale de toutes les autres approches intégratives et globales qui aide à la production de solution et à la facilitation du changement. Actuellement, il n’existe pas de méta-modèle aussi inclusif et dont la théorie est aussi solide que la théorie intégrale, c’est d’ailleurs pourquoi c’est une approche si utile dans tant de contextes. Le modèle AQAL est un cadre dynamique qui fait plus que simplement couvrir les éléments de base de la réalité, il établit des liens d’une manière qui nous permet de nous assurer que nous mettons à profit nos efforts de façon fonctionnelle, esthétique, précise et juste. En d’autres termes, une approche intégrale permet de trouver des solutions, aux grands problèmes auxquels nous sommes confrontés alors que nous voyageons dans le 21ème siècle, qui sont « vraies », « bonnes » et « belles ».
En fait, le modèle AQAL est multi-variant et peut être compris d’un certain nombre de façons. AQAL est une carte, car c’est une série de symboles et d’abstractions à la troisième personne qui peut guider une personne à travers les contours de sa propre conscience, et à travers quelques uns des aspects les plus importants de toute situation. C’est un cadre, car il crée un espace mental où l’on peut organiser et indexer ses activités courantes et celles des autres d’une manière claire et cohérente. C’est une théorie, car il offre une explication sur la façon dont la plupart des méthodologies éprouvées par le temps et des données qu’elles génèrent peuvent s’emboîter. Il s’agit d’une pratique parce que ce n’est pas seulement une théorie sur l’inclusion, mais une véritable série de pratiques d’inclusion. Il implique le méta-paradigme de mettre en corrélation les méthodologies de production de connaissance les plus fondamentales de l’humanité. AQAL peut également être pratiqué dans un cadre plus personnel, ce qui se traduit par ce qu’on appelle la pratique de vie intégrale (PVI) [ndt : Integral Life Practice]. Il s’agit d’un ensemble de perspectives, car il rassemble des perspectives à la première, deuxième et troisième personne. C’est un catalyseur, car il scanne psycho-activement l’ensemble de votre corps-esprit et active ou « allume » tous les potentiels (quadrant, niveau, ligne, état ou type) qui ne sont actuellement pas pleinement utilisés. Enfin, c’est une matrice, car il combine tous les quadrants, tous les niveaux, toutes les lignes, tous les états et tous les types d’une manière qui permet de générer un espace des possibles au sein duquel davantage de réalité peut se manifester et être incluse, une inclusion qu’aucun autre modèle n’a atteint. En bref, le modèle AQAL peut être résumé en tant que carte de la réalité à la troisième personne, en tant que modèle à la deuxième personne qui permet de travailler à l’intérieur des disciplines et entre celles-ci, et en tant que pratique à la première personne qui permet d’engager le développement de notre propre conscience incarnée. Chacun de ces trois aspects de la carte—modèle—pratique qu’est AQAL contribuent à une expérience d’intimité accrue avec la réalité, ceci en élargissant et en approfondissant notre contact avec davantage de dimensions de nous-mêmes, de nos communautés et de nos environnements.
Maintenant que vous avez une vue d’ensemble du modèle AQAL, je peux mettre en évidence la façon dont ces approches utilisent avec succès des principes intégraux sur le terrain : dans la salle de classe, dans la salle du conseil d’administration, dans l’arène politique, et dans les bureaux à domicile. En plus des utilisations disciplinaires du modèle AQAL (par exemple, l’écologie intégrale ou le coaching intégral), il y a eu aussi des efforts systématiques pour faire avancer la théorie intégrale en tant que champ spécifique des méta-études. Quatre principaux efforts actuellement contribuent à cet objectif: 1) la revue scientifique Journal of Integral Theory and Practice [ndt : Journal de la Théorie Intégrale et de sa pratique], qui a à ce jour publié plus de 100 études de cas et articles scientifiques; 2) Le département de la Théorie Intégrale de l’Université John F. Kennedy, avec son programme de maîtrise d’arts en ligne et son certificat d’un an en théorie intégrale (ce programme fait beaucoup pour former la prochaine vague au leadership intégral en appliquant le modèle AQAL), 3) le Centre de Recherche Intégrale [ndt : Integral Research Center], qui soutient tout autour du monde les recherches de second cycle utilisant une mixte de méthodes et informées par la théorie intégrale, et 4) la Conférence sur la Théorie Intégrale [ndt : Integral Theory Conference] qui est internationale et biennale, et qui a récemment réuni 500 universitaires et praticiens provenant de l’ensemble du globe qui appliquent et affinent la théorie intégrale.[vi] Cet effort systémique est important car il permet aux praticiens d’une discipline particulière (par exemple, les psychothérapeutes intégrales ou des éducateurs intégrales) de voir que le modèle est solide, il forme les praticiens intégraux à comprendre le modèle dans son ensemble (indépendamment de toute application à une discipline spécifique), et il crée une communauté d’échanges et de recherche pour favoriser le développement du modèle d’une façon qui invite la pensée critique et une efficacité pratique démontrée.
Ces dernières années, un certain nombre de livres ont été publiés et qui appliquent la théorie intégrale dans divers domaines tels que le design urbain (Integral City [ndt : ville intégrale] de Marilyn Hamilton), l’évaluation psychologique (The Integral Intake [ndt : l’admission intégrale] de Andre Marquis), la dynamique organisationnelle (Organizational Transformation for Sustainability [ndt : Transformation organisationnelle pour le développement durable] de Mark Edward), la santé (Integral Health [ndt : santé intégrale] de Elliott Dacher) les études sur l’écologie et l’environnement (Integral Ecology [ndt : écologie intégrale] de Michael Zimmerman et moi-même), la psychopharmacologie (Psychopharmacology for Helping Professionals [ndt : La psychopharmacologie pour aider les professionnels] de Elliott Ingersoll et Carl Rank), les affaires (Competitive Business, Caring Business [ndt : Business compétitif, Business Competitive, Business attentionné] de Daryl Paulson), et de développement de communauté internationale (Developing Sustainability, Developing the Self [ndt : Développement Durable, Développement du Soi] de Gail Hochachka).[vii] À ce jour, les champs qui ont produit la plus grande quantité de matériel théorique et appliquée en utilisant la théorie intégrale, incluent la psychothérapie et la psychologie, l’éducation, les méthodes de recherche mixtes, l’écologie et le développement durable, le développement international, les études futures, les affaires, et le management organisationnel.[viii] Ci-dessous, vous trouverez de brèves descriptions d’un certain nombre d’exemples actuels de la théorie intégrale en action.
Education Intégrale
Le Centre de recherche intégré (CRI) [ndt : Integral Research Center (IRC)] est en train de concevoir et de lancer une ambitieuse étude longitudinale utilisant des méthodes de l’ensemble des huit zones du pluralisme méthodologique intégral, ceci afin d’évaluer les effets transformateurs de l’éducation intégrale à Université John F. Kennedy. Le CRI travaille en collaboration avec Theo de Dawson de Developmental Testing Service [ndt: Service de Test du Développement] et Susanne Cook-Greuter de Cook–Greuter and Associates pour aider à la conception de la recherche, ce qui inclue le Lectical Assessment System (LAS) [ndt : Système d’Evaluation « Lecticale »] et le Sentence Completion Test (SCT) [ndt : Test de complétion de phrases]. Cette étude vise à découvrir, «De quelles manières les étudiants se transforment à l’intérieur du programme de Master en Arts sur la théorie intégrale? » Est-ce qu’ils montrent, au cours des trois années de cours, un développement vertical (par exemple, la sortie d’un niveau et le début de la stabilisation du suivant) et/ou un développement horizontal (par exemple, un meilleur accès au contenu émotionnel). Si oui, quels aspects sont en développement? Les résultats de cette étude en cours seront utilisés pour améliorer le potentiel de développement du programme d’études, ce qui rend encore plus propice à la transformation et à la croissance psychologique.[ix]
Développement International Intégral
One Sky, Institut canadien pour un mode de vie durable en partenariat avec Drishti, un Centre pour une Action Intégrale a récemment reçu une subvention de 500 000 dollars de l’Agence canadienne du développement international pour un projet de trois ans de développement du leadership, intitulé « Applications intégrales de du développement durable dans le delta du Niger ». S’appuyant sur les travaux antérieurs qu’il avait réalisé au Niger, One Sky était conscient de la valeur des interventions liées aux quadrants de droite centrées sur « le développement, la gestion financière, l’amélioration des communications et de l’influence politique ». Tout en reconnaissant le rôle essentiel que ces efforts ont, One Sky est devenu de plus en plus conscient de la façon dont ces efforts ne pourraient pas être soutenus sans des interventions de soutien provenant des quadrants de gauche centrées sur « le leadership personnel, la conscience de soi, l’intelligence morale, et les relations interpersonnelles. » Par conséquent, leur projet consistera à travailler avec 30 jeunes Nigériens de près d’une douzaine d’organisations de la région de Cross River du Delta du Niger sur la durabilité environnementale et économique. « Le projet consiste essentiellement à engager un processus de développement personnel (Je), mis en place avec les communautés d’apprentissage et un nouveau discours social (Nous), et a adopté des initiatives innovantes dans leur organisation d’attache (Cela / Ceux). »[x] En outre, ce programme sera jaugé par le biais d’une pré/post-évaluation basée sur les principes de la recherche intégrale.
Foresterie (ou Sylviculture) Intégrale
Next Step Integral [ndt: le prochain pas intégral], une organisation internationale à but non lucratif, a été créé en 2003 par Stephan Martineau. Bientôt il s’associe avec Lisa Farr, la directrice d’une association locale sur l’écologie de l’eau, pour entreprendre la tâche ardue de mettre en place une approche intégrale pour un projet de forêt communautaire dans la vallée de Slocan en Colombie-Britannique (Canada). Cet objectif a été particulièrement difficile étant donné les tensions historiques présentes depuis plus de 35 ans entre les différentes visions du monde existant à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté (par exemple, des bûcherons, des mineurs, des agriculteurs, des environnementalistes, des membres des Premières Nations, des artistes, des praticiens de plusieurs confessions religieuses, des fonctionnaires, et une multinationale). En outre, il y avait déjà eu neuf tentatives infructueuses du gouvernement de la Colombie-Britannique de mettre en place, entre les acteurs liés à la forêt, une solution viable concernant les divisions présentes au sein de la communauté. Les principes directeurs de leur initiative comprenaient: le fait de reconnaître et d’honorer les divers points de vue des habitants de la vallée Slocan sur la forêt, le fait de reconnaître que ces points de vue ont été informés par des lentilles associées à chacun des quadrants (par exemple, comportementales, culturelles, psychologiques, historiques), et le fait de reconnaître que toute solution viable à long terme devrait intégrer les nombreux points de vue divergents au sein de la communauté. En outre, Martineau a identifié un certain nombre de « capacités principales » explicitement ancrées dans le modèle AQAL, mais utilisées implicitement pour soutenir leur initiative : la capacité à détenir et à habiter des perspectives multiples ; une conscience et une capacité à travailler avec les lignes multiples des individus ; un engagement au développement personnel et au travail sur l’ombre [ndt : shadow work] ; créer des motivations partagées; équilibrer l’empathie, l’engagement et l’impartialité ; et cultiver des qualités, des attitudes et des capacités soutenant la compréhension mutuelle.
Le 14 Janvier 2007, Next Step Integral a déposé une demande pour un accord sur la forêt communautaire afin de permettre à la communauté locale de gérer les 35,000 acres de forêt contestée. En Juillet de cette même année, leur proposition a été approuvée ! Ainsi, trois années de négociations et de travaux populaires guidés par le modèle AQAL aboutirent à la création d’une coopérative de foresterie intégrale, la première de son genre dans le monde. Ce projet de forêt communautaire a le soutien impressionnant de 95% des habitants de la vallée. Judicieusement nommé le Slocan Integral Forestry Cooperative (SIFCo) [ndt: Coopérative de Foresterie Intégrale de Slocan], ce projet est un véritable témoignage de la puissance du modèle intégral—même en tant que guide implicite—puisqu’en travaillant avec différents points de vue, il a permis de manifester un objectif commun, là où d’autres approches n’y sont pas parvenus. Maintenant que SIFCo a acquis la « titularisation » de la gestion des sols, les années à venir devraient être un important terrain d’essai et une source de clarification des principes de l’écologie intégrale en général et de la foresterie intégrale en particulier.[xi]
Coaching Intégral
Integral Coaching Canada (ICC), une entreprise basée à Ottawa, a mis au point toute une école et toute une méthodologie pour le coaching professionnel basé sur le modèle AQAL. Au cours des 10 dernières années, ICC est devenue l’une des premières écoles dans le monde pour le coaching professionnel. Ils ont une méthodologie rigoureuse qui combine prise de vue incarnée, présence et distinctions conceptuelles puissantes. Les coachs utilisent l’ensemble des cinq éléments mentionnés ci-dessus afin de soutenir leur propre croissance personnelle et de travailler sur le développement de leur client. En général, il faut environ deux ans à un individu pour terminer le processus de certification et devenir un coach intégral®.[xii] ICC a une solide réputation d’exiger beaucoup de leurs coachs-en-formation, qui implique que chaque apprenti s’engage à une pratique de vie intégrale qui inclut : méditation, travail du corps, écriture d’un journal, et lecture. Ils sont la seule école de coaching que je connaisse à intégrer la psychologie du développement (par exemple, la théorie sujet-objet de Robert Kegan) comme colonne vertébrale de leur méthodologie.[xiii] Ce seul fait donne à ICC un énorme avantage sur les autres écoles parce que leur approche est fondée sur une vaste recherche en psychologie du comment et du pourquoi les humains se transforment et intègrent de nouvelles capacités. En fait, l’application du modèle intégral par ICC est l’une des utilisations les plus, si elle n’est pas la plus, sophistiquées des principes d’intégral, tout domaine ou contexte confondus.
Politiques intégrales
Le State of the World Forum (SOWF) [ndt : le forum sur « l’état du monde »] a été créé en 1995 par Jim Garrison avec Mikhaïl Gorbatchev. Le SOWF a commencé comme une série de conférences annuelles qui ont réunis des centaines de leaders internationaux (allant des militants associatifs, aux lauréats du prix Nobel, aux activistes sociaux, aux chefs d’État et aux chefs d’entreprise) afin d’explorer les problèmes clés auxquels la Terre fait face. Ces rencontres ont mis en place un réseau de leadership mondial s’engageant autour du principe directeur suivant : « Transformer les conversations qui comptent en actions qui font la différence. » Au fil des ans, le SOWF a parrainé une série de rencontres et d’ « initiatives stratégiques » qui ont abouti à un certain nombre de projets et d’organisations non lucratives.[xiv] En 2008, le SOWF a posé son regard sur le problème sans frontière du changement climatique, et de la transition mondiale vers une « économie verte », et en Novembre 2009 va initier un cycle de 10 ans de rencontres internationales annuelles. Le SOWF a adopté le modèle AQAL comme cadre d’organisation pour chaque événement. Par conséquent, la théorie intégrale sera utilisée pour la conception de chaque conférence, et pour guider l’élaboration de recommandations aux responsables politiques à tous niveaux de responsabilité gouvernementale et civique. Ces rencontres auront lieu dans différents pays partout sur la planète, et elles permettront la construction d’une coalition de parties prenantes multiples engagées dans le développement de politiques innovantes et de mesures efficaces permettant de lutter contre le changement climatique et servant à une orientation vers l’émergence de nouvelles sources d’énergie. Maintenant, c’est la théorie intégrale en action— travaillant partout dans le monde avec un leadership diversifié pour adresser la première crise planétaire de l’humanité.
Conclusion
Les exemples ci-dessus font partie d’une étendue merveilleusement riche dans leur focus et échelle. Cette variété de la théorie intégrale en action s’adresse directement à la souplesse et à la cohérence de ses fondements théoriques : le modèle AQAL. En reconnaissant la nature multidimensionnelle des questions et des problèmes complexes, la théorie intégrale crée un espace où la multiplicité des perspectives contribue à la découverte de solutions viables. Dans notre univers en constante évolution, la théorie intégrale fait résonner en nous un appel pour tendre vers l’inclusion de perspectives multiples, en particulier celles qui vont à l’encontre de nos habitudes de penser et de ressentir. Ce n’est que par le développement d’un tel point de vue géocentrique que nous pourrons atteindre adéquatement la compréhension mutuelle si désespérément nécessaire sur une planète fragmentée par des approches et des visions du monde contradictoires. Les praticiens de la théorie intégrale s’engagent à honorer et à inclure le caractère multidimensionnel de la réalité
tout en cultivant leur propre capacité au géocentrisme [ndt :vision planétaire]. C’est ce double engagement d’acceptation compréhensive et de prise de perspective qui permet aux individus et aux organisations dans les exemples ci-dessus d’avoir autant de succès dans leurs efforts intégratifs respectifs—chacun d’entre eux servant d’exemple pour montrer quel pourrait être le ressenti et l’aspect d’un monde plus intégral. Le monde est un endroit étonnant, mystérieux et complexe. Le modèle très inclusif [ndt : all-inclusive] de la théorie intégrale est particulièrement bien adapté pour honorer le monde dans toute sa complexité et toute sa profondeur, mais également pour mettre la lumière sur le chemin que chacun d’entre nous peut prendre pour apporter sa contribution et s’attaquer aux problèmes latents qui nous attendent dans le 21e siècle.
Remerciements
J’aimerais remercier Vipassana Esbjörn-Hargens, Lynwood Lord, Jordan Luftig, John Scheunhage, et David Zeitler pour des commentaires aidant à consolider la qualité de cette vue d’ensemble.
Notes
[i] Une liste complète des travaux de Ken Wilber peut être trouvée dans l’annexe 2 du livre de Brad Reynolds, Embracing Reality: The Integral Vision of Ken Wilber (2004) La plupart de ces documents peuvent être trouvés dans les Œuvres Complètes de Wilber.
[ii] Frank Visser rapporte que 22 des livres de Ken Wilber ont été traduits en plus de 25 langues, ce qui rend Wilber l’auteur universitaire le plus traduit aux États-Unis. Visser rapporte: «Jusqu’à présent, ses livres ont été traduits en allemand, néerlandais, français, espagnol, portugais, italien, russe, tchèque, hongrois, turc, bulgare, letton, estonien, slovène, slovaque, serbe, grec, hindi, chinois (Chine et Taiwan), coréen, du Swaziland, japonais, polonais, danois, suédois et lettons. En plus de cela, certaines éditions illégales ont fait leur apparition dans les dialectes africains et indiens » Pour un graphique de toutes ces traductions, voir www.integralworld.net/translations.html.
[iii] Il y a une différence importante entre les études intégrales et la théorie intégrale. Les études intégrales représentent une catégorie plus large et comprend des penseurs tels que Jean Gebser, Sri Aurobindo, Ken Wilber, et Ervin Laszlo. En revanche, la théorie intégrale est un sous-ensemble des études intégrales, qui se concentre principalement sur le travail de Ken Wilber et s’engage au développement théorique, à l’application, et à la critique du modèle AQAL. Le domaine de la méta-théorie inclut le travail d’individus tels que Roy Bahskar et George Ritzer.
[iv] Voir le Journal of Integral Theory and Practice pour des articles dans ces disciplines et dans bien d’autres.
[v] Notez que les exemples donnés pour chaque quadrant ne sont pas corrélées entre eux, ils ne représentent que des exemples simples pour chaque quadrant.
[vi] Pour plus d’informations sur ces efforts, consulter leurs sites web respectifs : 1) Journal of Integral Theory and Practice (www.integraljournal.org); 2) John F. Kennedy University’s Department of Integral Theory (www.jfku.edu/integraltheory); 3) The Integral Research Center (www.integralresearchcenter.org); et 4) la “international biennial Integral Theory Conference” (www.integraltheoryconference.org).
[vii] En plus de ces titres, il convient de mentionner qu’en 2009, deux anthologies seront publiées par « SUNY press », l’une sur l’éducation intégrale et l’autre sur la théorie intégrale.
[viii] Voir la page des ressources de www.integralresearchcenter.org pour les annonces de tous les documents publiés dans ces domaines.
[ix] Une description complète de ce projet peut être trouvée sur www.integralresearchcenter.org.
[x] Toutes les citations de ce paragraphe proviennent de www.onesky.ca, qui peut être visité pour plus d’informations sur ce projet.
[xi] Visitez http://www.sifco.ca pour plus d’informations sur ce projet.
[xii] « Integral Coach » est une marque déposée au Canada qui appartient à Integral Coaching Canada, Inc. Pour plus d’informations sur leurs formations voir leur site : www.integralcoachingcanada.com.
[xiii] Pour un aperçu détaillé et une introduction à l’approche d’Integral Coaching Canada, voir le numéro 4 (1) de « Journal of Integral Theory and Practice » [ndt : Revue de la théorie et de la pratique intégrale], qui est entièrement consacré à leur travail.
[xiv] Visiter www.truthisnotenough.com pour plus d’information.
Références
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A propos de l’auteur
SEAN ESBJÖRN-HARGENS, Ph.D., est professeur agrégé et président fondateur du Département de la Théorie Intégrale à John F. Kennedy University à Pleasant Hill, Californie. Un universitaire-praticien leader en théorie intégrale, il est le fondateur et rédacteur en chef du Journal de la théorie et de la pratique intégrale (Journal of Integral Theory and Practice) et directeur fondateur du centre de recherche intégrale (Integral Research Center). Il a publié de nombreux articles sur les applications du modèle intégral dans une variété de domaines. Il est un praticien de bouddhisme tibétain et l’Approche Diamant (Diamond Approach) et vit à Sebastopol, Californie, sur cinq hectares de séquoias avec sa femme et ses deux filles. Sean est un coach intégral et consultant via Designs Rhizome (www.rhizomedesigns.org).
Traduction
Titre Original :
AN OVERVIEW OF INTEGRAL THEORY
An All-Inclusive Framework for the 21st Century
By Sean Esbjörn-Hargens
Source :
Integral Institute, Resource Paper No. 1, March 2009, pp. 1–24
Traduction : Kévin Solinski (kevin@kevinsolinski.com) –
avec l’aimable autorisation de Sean Esbjörn-Hargens (sean@enactintegral.com) – https://metaintegral.org/
Merci à Olivier Compagne pour son aide lors de la traduction.
Version pdf
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